Agir localement, penser globalement : le pouvoir des actions individuelles contre le changement climatique

Avez-vous déjà entendu dire : “je ne peux rien faire à mon échelle” ? C’est une idée reçue, et dans cet article nous allons décrypter en quoi l’action individuelle est importante pour lutter contre le changement climatique !

Les actions individuelles peuvent-elles vraiment réduire notre empreinte carbone de 25 % ?

L’étude Faire sa part de Carbone4, parue en juin 2019, nous donne un chiffre édifiant : un engagement individuel “modéré” pourrait faire baisser l’empreinte carbone individuelle de… un quart seulement. Sachant que, selon l’étude, chaque Français a une empreinte carbone de 10,8 tonnes de CO2e en 2019 et que nous devons arriver à 2 tonnes en 2050.

Le reste viendrait de l’impulsion collective et politique, des entreprises et de l’État.

Bien que cet article soit très intéressant dans sa réflexion, le diable se cache dans les détails, et il est important d’analyser ce que nous dit l’étude avant d’en tirer des conclusions hâtives.

En effet, en examinant cette étude de plus près, voici ce qu'elle révèle :

  • L’étude part du principe que chacun se renvoie la balle pour agir (c’est le fameux triangle de l’inaction), et que la responsabilité des consommateurs est souvent mise en avant.
  • Pour comprendre le rôle de l’individu dans la baisse de son empreinte carbone, les auteurs de cette étude ont commencé par établir une liste d’une douzaine d’actions réalisables sans investissement.

Ces 12 actions sont : manger végétarien, ne plus prendre l’avion, faire du covoiturage, vélo pour les trajets courts, moins de vêtements neufs, manger local, baisser la température de son logement, acheter d’occasion son électroménager, zéro déchet et gourde, et équiper son logement de LED.

En mettant en place ces actions, l’empreinte carbone pourrait être réduite de 25 %, soit 2,8 tonnes de moins.

Sachant que le régime végétarien a le plus gros impact : il représente à lui seul 10% de baisse de l’empreinte globale.

Petite parenthèse : c’est une moyenne standardisée, et je t’invite donc à calculer ton empreinte carbone sur le site Nos Gestes Climat, qui te fournira ensuite des résultats personnalisés pour faire baisser ton empreinte !

Il faut ajouter à cela la possibilité de faire des investissements, comme la rénovation thermique, le changement de chaudière, le passage à un véhicule électrique. C’est un levier majeur, notamment pour la partie logement et mobilité. Ces investissements pourraient réduire de presque 20% l’empreinte carbone.

Source : Faire sa part, Carbone4

Donc, au total, la combinaison des actions et des investissements permettraient une baisse de l’empreinte de 45%.

Cependant, et c’est là où le bât blesse, ces résultats doivent être généralisés à l’ensemble de la population. Nous n’avons pas tous un comportement que l’étude qualifie d'”héroïque”.

Sachant que nous ne sommes pas engagés de la même façon :

  • 20% sont moteurs
  • 20% sont réfractaires
  • 60% sont des suiveurs indécis

L’étude considère que les 20 % moteurs adoptent des comportements héroïques, que les 60 % de suiveurs mettront en place un quart des actions, et que les réfractaires ne feront rien.

Dans ce cas, la baisse de l’empreinte pourrait stagner autour de 5 à 10% de baisse (hors investissements).

C’est là où nous pouvons tirer plusieurs conclusions :

  • L’importance de l’éducation pour rendre le changement enviable
  • Le rôle de la législation pour favoriser les changements
  • La décarbonation de l’industrie qui ne peut être fait qu’à un niveau plus systémique
  • Et enfin, le rôle de l’influence et de l’action individuelle au-delà de ses propres actions

Comme le souligne l’étude « malgré les apparences, la relative modestie de l’impact de l’action individuelle pourrait au contraire représenter une excellente nouvelle […] : c’est l’occasion de réaliser que […] c’est ensemble, et pas seulement chacun chez soi, que se joue l’essentiel du combat à mener »

Et si nous étions 60% de moteurs et non 20% ? Il serait bien plus facile et acceptable d’adopter des comportements pro-climat. Le rôle de l’influence est donc clef : décryptons-le maintenant !

L'influence invisible : Comment nous pouvons tous inspirer ses changements écologiques au quotidien

Nous sommes toutes et tous des influenceurs, sans même le savoir ! Prenez une respiration pour vous demander : quand était la dernière fois qu’un proche vous a parlé d’un projet qui vous a donné envie à votre tour ? L’influence est aussi simple que cela !

Un excellent rapport du groupe de travail Shift1team est sorti sur le sujet : Comment faire évoluer les comportements de ses proches vers des pratiques moins carbonées ?

Leur constat : on ne peut pas faire l’économie des changements individuels. Il existe par ailleurs un fossé entre l’intention et l’action : ce n’est pas parce que nous savons, que nous passons à l’action pour autant.

Crédit photo : capture d’écran du rapport “Comment faire évoluer les comportements de ses proches vers des pratiques moins carbonées ?” (pages 7 et 8)

En effet, nos comportements sont influencés par des codes culturels, et des habitudes sociales.

Pour changer, encore faut-il savoir… comment le faire. Le modèle transthéorique du changement, par J.O. Prochaska et C.C. DiClemente (1984), nous aiguille pour savoir où nous en sommes.

Nous passons par 7 étapes pour tout changement dans nos vies :

  • La pré-intention : nous n’avons pas conscience du problème
  • La contemplation : nous reconnaissons le problème et envisageons un changement à moyen terme (6 mois)
  • La préparation : la personne fait preuve d’une réelle volonté du changement à court terme (1 mois)
  • L’action : les changements sont mis en place
  • La rechute : nous retournons à un stade précédent. La rechute est normale, et fait partie du processus
  • Le maintien : une fois sorti du potentiel schéma de rechute, le comportement se maintient dans le temps et devient normalisé
  • Sortie permanente : nous avons réussi à changer de façon pérenne
Crédit photo : capture d’écran du rapport “Comment faire évoluer les comportements de ses proches vers des pratiques moins carbonées ?” (page 38)

Ce schéma nous oriente sur le temps nécessaire pour introduire un changement dans nos vies. Par ailleurs, il est toujours plus simple d’engager un tel changement en étant entouré, et c’est bien là tout le rôle de l’influence individuelle.

En effet, le rapport encourage de réaliser une petite action avec une personne, pour montrer que cela est possible, souhaitable, et ouvrir la voie vers de plus grands engagements.

Par exemple, dans le rapport, on peut lire que deux personnes font une promenade à vélo plutôt que d’encourager verbalement à le faire ; ou encore d’inviter des proches et de cuisiner 100% végétal.

Mais alors, nous suffit-il de tous devenir des influenceurs auprès de nos proches pour réussir ce changement ?

La diffusion du changement : de l’influence individuelle aux contagions à grande échelle

Nous pensons souvent que le changement se répand comme un virus : une personne est infectée, et transmet son virus à quelqu’un d’autre. Ainsi, comme dans le cas du Covid, un individu peut “toucher” des centaines d’autres personnes.

Cependant, si ce raisonnement s’applique logiquement dans le cas du Covid, il n’est pas aussi simple dans le cas d’un changement profond, qui nécessite de changer les croyances et les comportements.

En effet, lorsque nous sommes exposés à de nouveaux comportements, ou de nouvelles idées, nous ne l’adoptons pas automatiquement.

Ces changements sont appelés “contagions complexes”, par opposition au virus qui est une “contagion simple”. Une contagion simple, c’est une image qui fait le tour de la toile (comme par exemple celle du surfeur Gabriel Medina aux JO).

Les contagions complexes concernent les habitudes difficiles à adopter, comme par exemple passer d’un régime très carné à un régime végétarien.

Pour qu’une contagion complexe réussisse, elle a besoin d’un renforcement social : c’est-à-dire que les personnes autour de vous adoptent le même comportement que vous, dans un maillage social très dense.

C’est ce qu’on appelle les liens forts, qui sont des relations solides à l’intérieur d’un même groupe social. Les liens forts sont complémentaires des liens faibles, qui représentent nos relations de “connaissance”, et qui permettent de faire des ponts vers d’autres réseaux que le nôtre. Or, plus le réseau est fort, plus il y a de chances qu’une nouvelle norme soit adoptée.

Combien de personnes doivent adopter un comportement autour de nous, avant que nous “basculions” à notre tour ?

Source : capture d’écran de la vidéo “Combien faut-il de personnes pour lancer UNE RÉVOLUTION ? ✊✊✊”. Les flèches jaunes pointent vers l’endroit où la contagion a le plus de chance de commencer, car le réseau y est le plus dense.

Le sociologue Granovetter, dans son article « Threshold Models of Collective Behavior’ » publié en 1978, parle de seuil.

Par exemple, si je suis dans un groupe de 10 personnes, combien de personnes devront choisir l’option burger végétarien avant que je choisisse cette option également, car j’agis selon la norme sociale ?

Le seuil est différent pour chaque personne, et en fonction des choix (alimentation, déplacement…). En effet, il est plus facile pour certaines personnes d’aller manifester pour une cause qui leur tient à coeur, là où d’autres se sentent moins concernés. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre la dynamique sociale à plus grande échelle : comment sont distribués les effets de seuil au sein d’une population ?

C’est là où le rôle de l’individu prend son importance, car les actions individuelles sont à l’origine de mouvements sociaux à plus large échelle.

Dans toute société, nous avons besoin de personnes avec un effet de seuil très bas, presque de 0% : ce sont des personnes auto-motivées qui vont se lancer dans une cause quoiqu’il arrive, sans avoir besoin d’attendre les autres.

Ces personnes sont des « initiateurs » : plus il existe d’initiateurs dans la société, plus il sera simple d’embarquer les autres. C’est ce qu’on appelle l’effet domino.

Ce phénomène est très bien expliqué dans la vidéo “Combien faut-il de personnes pour lancer UNE RÉVOLUTION ? ✊✊✊” du YouTubeur Fouloscopie.

Les points de bascule : comment une minorité peut provoquer un changement social massif ?

Le sociologue Damon Centola a fait une expérience intéressante, publiée dans un article paru en 2021 (Experimental evidence for tipping points in social convention »).

Avec ses pairs, il a cherché à comprendre à partir de quel moment une norme devenait socialement acceptable ou pas - comme par exemple fumer dans les lieux publics.

Voici l’étude en question :

  • 194 participants ont été recrutés et répartis en groupes au sein de 10 groupes. Puis, des paires ont été définies de façon aléatoire.
  • Sur un ordinateur individuel, la photographie d’une personne s’affichait, et chacun devait proposer un prénom en simultané.
  • Si les joueurs saisissaient le même prénom, alors ils avaient une récompense financière. Après avoir fait leurs choix, les joueurs voyaient le choix du prénom de leur partenaire.
  • Puis ils recommençaient l’exercice avec un autre partenaire choisi au hasard, et ainsi de suite. Le but était de se coordonner les uns avec les autres.

Sachant également que dans chaque groupe avait été placé des complices de l’exercice, dans des proportions variées (entre 15 à 35% des personnes).

Résultat : au-delà du seuil de 25%, la minorité réussit à provoquer un changement massif dans le groupe.

C’est-à-dire que le groupe finissait par choisir le même prénom à la fin du test.

La ligne pointillée montre le seuil de 25% à partir duquel l’opinion de la majorité bascule vers celle de la minorité. Les points gris représentent les groupes testés lors de l’étude qui avaient moins de 25% de “minorité complice” tandis que les points noirs représentent les groupes testés lors de l’étude avec plus de 25% de “minorité complice”. Il est intéressant de voir qu’à partir de 30% de minorité engagée, la population bascule à 100% ; alors qu’à 25% de minorité engagée, la population bascule à 75% (échelle des ordonnées). Source : Experimental evidence for tipping points in social convention

Conclusion : pour engager des changements, la stratégie “boule de neige” est la plus forte

Pour mettre en place des changements durables, Damon Centola propose la stratégie de la boule de neige :

  • Le principe consiste à allouer les ressources à 10 personnes volontaires dans le même groupe social, pour créer un renforcement mutuel.

Cela permet également d’avoir une communauté, un soutien fort dans le changement, et de mettre en place ce changement au sein d’un groupe social donné.

Cette stratégie sera bien plus forte que deux autres types de stratégie :

  • La stratégie “shotgun” basée sur les principes du marketing viral des contagions simples : on sélectionne des personnes éloignées les unes des autres pour créer une exposition maximale. Mais le problème est que ces influenceurs sont entourés de “non-adoptants”, et cela ne créé aucun renforcement social.
  • La solution “miracle” qui consiste à tout mettre sur une personne : un influenceur connecté et influent. Problème, celui-ci s’oppose traditionnellement peu au statu quo, et l’influenceur va influencer ses contacts peu enclins au changement de norme sociale.

Enfin, Damon Centola nous donne de derniers conseils :

Ne pas compter sur la contagion virale, protéger les “early-adopters”, établir des passerelles entre différents groupes sociaux, cibler des endroits du réseau où les premiers utilisateurs peuvent se renforcer mutuellement.

Ces différents modèles montrent bien l’importance clef du rôle de l’individu dans l’impulsion du changement. J’espère que l’article t’a convaincu pour t’engager, et n’oublie pas : l’action est une belle façon de lutter contre son éco-anxiété !

Un article de :
Célia Poncelin
Célia Poncelin
co-fondatrice du média Twomorrow
Agir localement, penser globalement : le pouvoir des actions individuelles contre le changement climatique
Ecologie
15 minutes de lecture

Agir localement, penser globalement : le pouvoir des actions individuelles contre le changement climatique

Publié le
04 septembre 2024
Agir localement, penser globalement : le pouvoir des actions individuelles contre le changement climatique
Auteur(s)
Célia Poncelin
Célia Poncelin
co-fondatrice du média Twomorrow
Agir localement, penser globalement : le pouvoir des actions individuelles contre le changement climatique

Avez-vous déjà entendu dire : “je ne peux rien faire à mon échelle” ? C’est une idée reçue, et dans cet article nous allons décrypter en quoi l’action individuelle est importante pour lutter contre le changement climatique !

Les actions individuelles peuvent-elles vraiment réduire notre empreinte carbone de 25 % ?

L’étude Faire sa part de Carbone4, parue en juin 2019, nous donne un chiffre édifiant : un engagement individuel “modéré” pourrait faire baisser l’empreinte carbone individuelle de… un quart seulement. Sachant que, selon l’étude, chaque Français a une empreinte carbone de 10,8 tonnes de CO2e en 2019 et que nous devons arriver à 2 tonnes en 2050.

Le reste viendrait de l’impulsion collective et politique, des entreprises et de l’État.

Bien que cet article soit très intéressant dans sa réflexion, le diable se cache dans les détails, et il est important d’analyser ce que nous dit l’étude avant d’en tirer des conclusions hâtives.

En effet, en examinant cette étude de plus près, voici ce qu'elle révèle :

  • L’étude part du principe que chacun se renvoie la balle pour agir (c’est le fameux triangle de l’inaction), et que la responsabilité des consommateurs est souvent mise en avant.
  • Pour comprendre le rôle de l’individu dans la baisse de son empreinte carbone, les auteurs de cette étude ont commencé par établir une liste d’une douzaine d’actions réalisables sans investissement.

Ces 12 actions sont : manger végétarien, ne plus prendre l’avion, faire du covoiturage, vélo pour les trajets courts, moins de vêtements neufs, manger local, baisser la température de son logement, acheter d’occasion son électroménager, zéro déchet et gourde, et équiper son logement de LED.

En mettant en place ces actions, l’empreinte carbone pourrait être réduite de 25 %, soit 2,8 tonnes de moins.

Sachant que le régime végétarien a le plus gros impact : il représente à lui seul 10% de baisse de l’empreinte globale.

Petite parenthèse : c’est une moyenne standardisée, et je t’invite donc à calculer ton empreinte carbone sur le site Nos Gestes Climat, qui te fournira ensuite des résultats personnalisés pour faire baisser ton empreinte !

Il faut ajouter à cela la possibilité de faire des investissements, comme la rénovation thermique, le changement de chaudière, le passage à un véhicule électrique. C’est un levier majeur, notamment pour la partie logement et mobilité. Ces investissements pourraient réduire de presque 20% l’empreinte carbone.

Source : Faire sa part, Carbone4

Donc, au total, la combinaison des actions et des investissements permettraient une baisse de l’empreinte de 45%.

Cependant, et c’est là où le bât blesse, ces résultats doivent être généralisés à l’ensemble de la population. Nous n’avons pas tous un comportement que l’étude qualifie d'”héroïque”.

Sachant que nous ne sommes pas engagés de la même façon :

  • 20% sont moteurs
  • 20% sont réfractaires
  • 60% sont des suiveurs indécis

L’étude considère que les 20 % moteurs adoptent des comportements héroïques, que les 60 % de suiveurs mettront en place un quart des actions, et que les réfractaires ne feront rien.

Dans ce cas, la baisse de l’empreinte pourrait stagner autour de 5 à 10% de baisse (hors investissements).

C’est là où nous pouvons tirer plusieurs conclusions :

  • L’importance de l’éducation pour rendre le changement enviable
  • Le rôle de la législation pour favoriser les changements
  • La décarbonation de l’industrie qui ne peut être fait qu’à un niveau plus systémique
  • Et enfin, le rôle de l’influence et de l’action individuelle au-delà de ses propres actions

Comme le souligne l’étude « malgré les apparences, la relative modestie de l’impact de l’action individuelle pourrait au contraire représenter une excellente nouvelle […] : c’est l’occasion de réaliser que […] c’est ensemble, et pas seulement chacun chez soi, que se joue l’essentiel du combat à mener »

Et si nous étions 60% de moteurs et non 20% ? Il serait bien plus facile et acceptable d’adopter des comportements pro-climat. Le rôle de l’influence est donc clef : décryptons-le maintenant !

L'influence invisible : Comment nous pouvons tous inspirer ses changements écologiques au quotidien

Nous sommes toutes et tous des influenceurs, sans même le savoir ! Prenez une respiration pour vous demander : quand était la dernière fois qu’un proche vous a parlé d’un projet qui vous a donné envie à votre tour ? L’influence est aussi simple que cela !

Un excellent rapport du groupe de travail Shift1team est sorti sur le sujet : Comment faire évoluer les comportements de ses proches vers des pratiques moins carbonées ?

Leur constat : on ne peut pas faire l’économie des changements individuels. Il existe par ailleurs un fossé entre l’intention et l’action : ce n’est pas parce que nous savons, que nous passons à l’action pour autant.

Crédit photo : capture d’écran du rapport “Comment faire évoluer les comportements de ses proches vers des pratiques moins carbonées ?” (pages 7 et 8)

En effet, nos comportements sont influencés par des codes culturels, et des habitudes sociales.

Pour changer, encore faut-il savoir… comment le faire. Le modèle transthéorique du changement, par J.O. Prochaska et C.C. DiClemente (1984), nous aiguille pour savoir où nous en sommes.

Nous passons par 7 étapes pour tout changement dans nos vies :

  • La pré-intention : nous n’avons pas conscience du problème
  • La contemplation : nous reconnaissons le problème et envisageons un changement à moyen terme (6 mois)
  • La préparation : la personne fait preuve d’une réelle volonté du changement à court terme (1 mois)
  • L’action : les changements sont mis en place
  • La rechute : nous retournons à un stade précédent. La rechute est normale, et fait partie du processus
  • Le maintien : une fois sorti du potentiel schéma de rechute, le comportement se maintient dans le temps et devient normalisé
  • Sortie permanente : nous avons réussi à changer de façon pérenne
Crédit photo : capture d’écran du rapport “Comment faire évoluer les comportements de ses proches vers des pratiques moins carbonées ?” (page 38)

Ce schéma nous oriente sur le temps nécessaire pour introduire un changement dans nos vies. Par ailleurs, il est toujours plus simple d’engager un tel changement en étant entouré, et c’est bien là tout le rôle de l’influence individuelle.

En effet, le rapport encourage de réaliser une petite action avec une personne, pour montrer que cela est possible, souhaitable, et ouvrir la voie vers de plus grands engagements.

Par exemple, dans le rapport, on peut lire que deux personnes font une promenade à vélo plutôt que d’encourager verbalement à le faire ; ou encore d’inviter des proches et de cuisiner 100% végétal.

Mais alors, nous suffit-il de tous devenir des influenceurs auprès de nos proches pour réussir ce changement ?

La diffusion du changement : de l’influence individuelle aux contagions à grande échelle

Nous pensons souvent que le changement se répand comme un virus : une personne est infectée, et transmet son virus à quelqu’un d’autre. Ainsi, comme dans le cas du Covid, un individu peut “toucher” des centaines d’autres personnes.

Cependant, si ce raisonnement s’applique logiquement dans le cas du Covid, il n’est pas aussi simple dans le cas d’un changement profond, qui nécessite de changer les croyances et les comportements.

En effet, lorsque nous sommes exposés à de nouveaux comportements, ou de nouvelles idées, nous ne l’adoptons pas automatiquement.

Ces changements sont appelés “contagions complexes”, par opposition au virus qui est une “contagion simple”. Une contagion simple, c’est une image qui fait le tour de la toile (comme par exemple celle du surfeur Gabriel Medina aux JO).

Les contagions complexes concernent les habitudes difficiles à adopter, comme par exemple passer d’un régime très carné à un régime végétarien.

Pour qu’une contagion complexe réussisse, elle a besoin d’un renforcement social : c’est-à-dire que les personnes autour de vous adoptent le même comportement que vous, dans un maillage social très dense.

C’est ce qu’on appelle les liens forts, qui sont des relations solides à l’intérieur d’un même groupe social. Les liens forts sont complémentaires des liens faibles, qui représentent nos relations de “connaissance”, et qui permettent de faire des ponts vers d’autres réseaux que le nôtre. Or, plus le réseau est fort, plus il y a de chances qu’une nouvelle norme soit adoptée.

Combien de personnes doivent adopter un comportement autour de nous, avant que nous “basculions” à notre tour ?

Source : capture d’écran de la vidéo “Combien faut-il de personnes pour lancer UNE RÉVOLUTION ? ✊✊✊”. Les flèches jaunes pointent vers l’endroit où la contagion a le plus de chance de commencer, car le réseau y est le plus dense.

Le sociologue Granovetter, dans son article « Threshold Models of Collective Behavior’ » publié en 1978, parle de seuil.

Par exemple, si je suis dans un groupe de 10 personnes, combien de personnes devront choisir l’option burger végétarien avant que je choisisse cette option également, car j’agis selon la norme sociale ?

Le seuil est différent pour chaque personne, et en fonction des choix (alimentation, déplacement…). En effet, il est plus facile pour certaines personnes d’aller manifester pour une cause qui leur tient à coeur, là où d’autres se sentent moins concernés. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre la dynamique sociale à plus grande échelle : comment sont distribués les effets de seuil au sein d’une population ?

C’est là où le rôle de l’individu prend son importance, car les actions individuelles sont à l’origine de mouvements sociaux à plus large échelle.

Dans toute société, nous avons besoin de personnes avec un effet de seuil très bas, presque de 0% : ce sont des personnes auto-motivées qui vont se lancer dans une cause quoiqu’il arrive, sans avoir besoin d’attendre les autres.

Ces personnes sont des « initiateurs » : plus il existe d’initiateurs dans la société, plus il sera simple d’embarquer les autres. C’est ce qu’on appelle l’effet domino.

Ce phénomène est très bien expliqué dans la vidéo “Combien faut-il de personnes pour lancer UNE RÉVOLUTION ? ✊✊✊” du YouTubeur Fouloscopie.

Les points de bascule : comment une minorité peut provoquer un changement social massif ?

Le sociologue Damon Centola a fait une expérience intéressante, publiée dans un article paru en 2021 (Experimental evidence for tipping points in social convention »).

Avec ses pairs, il a cherché à comprendre à partir de quel moment une norme devenait socialement acceptable ou pas - comme par exemple fumer dans les lieux publics.

Voici l’étude en question :

  • 194 participants ont été recrutés et répartis en groupes au sein de 10 groupes. Puis, des paires ont été définies de façon aléatoire.
  • Sur un ordinateur individuel, la photographie d’une personne s’affichait, et chacun devait proposer un prénom en simultané.
  • Si les joueurs saisissaient le même prénom, alors ils avaient une récompense financière. Après avoir fait leurs choix, les joueurs voyaient le choix du prénom de leur partenaire.
  • Puis ils recommençaient l’exercice avec un autre partenaire choisi au hasard, et ainsi de suite. Le but était de se coordonner les uns avec les autres.

Sachant également que dans chaque groupe avait été placé des complices de l’exercice, dans des proportions variées (entre 15 à 35% des personnes).

Résultat : au-delà du seuil de 25%, la minorité réussit à provoquer un changement massif dans le groupe.

C’est-à-dire que le groupe finissait par choisir le même prénom à la fin du test.

La ligne pointillée montre le seuil de 25% à partir duquel l’opinion de la majorité bascule vers celle de la minorité. Les points gris représentent les groupes testés lors de l’étude qui avaient moins de 25% de “minorité complice” tandis que les points noirs représentent les groupes testés lors de l’étude avec plus de 25% de “minorité complice”. Il est intéressant de voir qu’à partir de 30% de minorité engagée, la population bascule à 100% ; alors qu’à 25% de minorité engagée, la population bascule à 75% (échelle des ordonnées). Source : Experimental evidence for tipping points in social convention

Conclusion : pour engager des changements, la stratégie “boule de neige” est la plus forte

Pour mettre en place des changements durables, Damon Centola propose la stratégie de la boule de neige :

  • Le principe consiste à allouer les ressources à 10 personnes volontaires dans le même groupe social, pour créer un renforcement mutuel.

Cela permet également d’avoir une communauté, un soutien fort dans le changement, et de mettre en place ce changement au sein d’un groupe social donné.

Cette stratégie sera bien plus forte que deux autres types de stratégie :

  • La stratégie “shotgun” basée sur les principes du marketing viral des contagions simples : on sélectionne des personnes éloignées les unes des autres pour créer une exposition maximale. Mais le problème est que ces influenceurs sont entourés de “non-adoptants”, et cela ne créé aucun renforcement social.
  • La solution “miracle” qui consiste à tout mettre sur une personne : un influenceur connecté et influent. Problème, celui-ci s’oppose traditionnellement peu au statu quo, et l’influenceur va influencer ses contacts peu enclins au changement de norme sociale.

Enfin, Damon Centola nous donne de derniers conseils :

Ne pas compter sur la contagion virale, protéger les “early-adopters”, établir des passerelles entre différents groupes sociaux, cibler des endroits du réseau où les premiers utilisateurs peuvent se renforcer mutuellement.

Ces différents modèles montrent bien l’importance clef du rôle de l’individu dans l’impulsion du changement. J’espère que l’article t’a convaincu pour t’engager, et n’oublie pas : l’action est une belle façon de lutter contre son éco-anxiété !