Les modèles économiques de demain
Des étés toujours plus chauds, des inondations toujours plus impressionnantes, la sensation qu’une nouvelle normalité s’impose peu à peu à nous. Ce n’est d’ailleurs pas une sensation, mais une réalité physique : celle de la courbe de réchauffement se mouvant au même rythme que celle de nos émissions de gaz à effet de serre. 2 courbes sur des graphiques débusqués au fond d’un rapport du GIEC. La froideur de la science face à la chaleur de nos société productivistes dopées aux énergies fossiles. Ces mêmes sociétés qu’Isabelle Delannoy décrit comme reposant sur une économie linéaire.
Pourtant, à force de rapports scientifiques, de grands rassemblements internationaux, 27 COP Climat et 16 COP Biodiversité tout de même, et de mobilisations citoyennes, la nécessité d’agir pour enrayer le changement climatique et l’effondrement du vivant semble infuser. Pour preuve, selon l’étude sur le changement climatique et les PME et ETI de la BPI, ”67 % des dirigeants sont attentifs aux enjeux environnementaux de leur entreprise”. Dans les stratégies climat des grands groupes fleurissent des rêves de neutralité carbone en 2050 ou encore de business nature-positive.
Des objectifs respectables s’ils n’étaient pas assortis d’une sémantique inexacte, la neutralité carbone n’ayant réellement de sens qu’à l’échelle de la planète et non d’une entreprise, et d’un flou artistique sur les moyens d’atteindre ces objectifs à long terme. Mais au fond, le sujet reste de savoir comment le monde de l’entreprise espère pouvoir passer de modèles économiques dépendants de l’exploitation de ressources naturelles, dont l’extraction engendre des impacts environnementaux conséquents, à des modèles alignés avec les objectifs de réduction de nos émissions et l’enrayement de l’érosion de la biodiversité.
À cette question à 1 million d’euros, les pistes de solutions proposées ces dernières années se sont multipliées. En plein développement, nous retrouvons notamment l’économie circulaire, représentée ce soir-là par Alexandre Iris, ancien directeur de la stratégie de Ba&sh et fondateur de Cent-neuf. La jeune marque, qui s’est donnée pour ambition de faire de la seconde main le premier choix, dresse le constat d’une catégorie de la population pour qui la frip ne fonctionne pas. “Les personnes qui consomment beaucoup de mode se dirigent avant tout vers une marque : une offre identitaire et cohérente, une image aspirationnelle et une expérience client fondée sur l’émotion pour créer de l’attachement. Malheureusement, que ce soit Vinted ou les magasins de seconde main, personne n’est vraiment performant sur ces trois pilliers. C’est ici que Cent neuf entre en jeu pour accélérer le mouvement.” Et pour cela, ils créent leurs propres collections avec des pièce sourcées individuellement chez des grossistes qu’ils agrègent ensuite sous une seule et même référence en fonction de leur ressemblance (coupe, couleur…) !
Pour autant, l’économie circulaire, ne reste qu’un exemple parmi de nombreux autres. Ces dernières années, nous avons ainsi vu émerger d’autres modèles à l’instar de l’économie de la fonctionnalité et, plus récemment, la fameuse économie régénérative.
Formation Butterfly de Axa Climate et Lumia, livre blanc de la BPI ou encore travaux en pré-normalisation de l’AFNOR… La régénération est sur toutes les lèvres.
Mais qu’en est-il réellement ?
Qu’est-ce donc que l’économie régénérative ?
Pour Isabelle Delannoy, Présidente de l’Entreprise Symbiotique, “le système actuels a beaucoup d’impacts négatifs. Nous cherchons à faire moins mal, mais l’enjeu est surtout de régénérer. C’est-à-dire qu’il ne suffit plus de diminuer les impacts négatifs, mais aussi se focaliser sur la production d’impacts positifs et sur tous les potentiels qu’elle ouvre.” Une production d’impacts positifs qui passera par “des cercles vertueux où les pratiques régénératives créent de plus en plus de ressources”.
L’économie régénérative appliquée au secteur de la mode, ça donne quoi ?
La mode faisant partie des quatres chaînes de valeur principales (agroalimentaire, infrastructures et mobilité, énergie, mode) responsables de près de 90% des pressions exercées sur la biodiversité, sa transformation est incontournable.
Un constat partagé par Mathieu Ebbesen-Goudin, Co-fondateur de VirgoCoop, une coopérative qui investit pour ****relancer localement des filières textiles écologiques et éthiques, du champ jusqu’au tissu. Et pour transformer le secteur, rien ne doit être laissé au hasard.
Cela commence, par le choix de la forme juridique. Ici, c’est la coopérative qui a été choisie pour s’assurer de travailler pour l’intérêt collectif et d’avoir une gouvernance qui ne se base pas sur le capital détenu par une minorité. Résultat, 350 sociétaires (citoyens, marques aux intérêts partagés, industriels intermédiaires…) ont rejoint l’aventure.
Sur le plan des matières premières utilisées, ce sont les fibres naturelles qui sont à l’honneur : la laine et le chanvre, une culture qui permet d’augmenter de 10 à 15% les rendements des cultures de céréales à la rotation suivante !
Plus encore, c’est pour voir se développer à nouveau des filières du textile sur le territoire national que travaille Virgo Coop. Un positionnement en phase avec un narratif du régénératif très axé sur le local.
Et sur ce point, Hélène Valade, Directrice Développement Environnement du Groupe LVMH, partage la nécessité d’une vision plus territoriale et ancrée dans le réel. “Entre un produit dans une vitrine et le champs, le lien nous semble très lointain. Pourtant, derrière chaque produit, il y a de la nature.” Selon, ses mots, LVMH serait en fait un grand groupe d’agriculteurs ! Pour autant, malgré ces envies de reconnexion à la terre, LVMH reste un grand groupe. Cela implique donc des moyens suffisants pour influencer nos imaginaires de consommation et relancer des filières plus locales aux côtés de coopératives dans la culture du coton ou de la betterave, et des contraintes. Hélène Valade parle d’un paquebot composé de 75 maisons qui doit intégrer rapidement tous ces nouveaux enjeux.
Régénérer et ralentir, deux impératifs inséparables.
Je terminerai en levant un drapeau rouge sur les potentielles dérives du régénératif. Si ce nouveau concept à la mode est séduisant, nous devrons collectivement rester attentif sur son utilisation. Si cesser de détruire la biodiversité et régénérer les écosystèmes reste l’objectif ultime, toutes les solutions ne se valent pas et, face à l’urgence, nous ne devrons pas nous bercer d’illusions. In fine, c’est bien de ralentir dont il est question. Produire et consommer moins de ces choses qui remplissent nos placards et vident nos écosystèmes.
C’est en ce sens que toute démarche sur les enjeux environnementaux qui se veut réellement sérieuse ne pourra s’en tenir à s’insérer dans une approche conceptuelle de la responsabilité des différents acteurs de notre économie.
Aussi, les entreprises, quelque soit leur taille, devront se poser des questions “poil à gratter” :
- Une entreprise régénérative peut-elle permettre la génération de profits ?
- La captation de la valeur produite par une minorité d’actionnaires sera-t-elle toujours permise dans les modèles d’affaires de demain ou devra-t-elle au contraire ruisseler équitablement dans les territoires et dans les mains de chaque maillon de la chaine de valeur ?
- Plus encore, peut-on vraiment se revendiquer comme étant “régénératif” lorsque son activité consiste encore à produire et prélever des ressources ?
In fine, nous comprenons que ce sont les modèles d’affaires des entreprises qui devront se réinventer. Et dans ce contexte, planifier les modalités de ces transformations sera une condition sine qua non d’une redirection aussi démocratique qu’efficace.