Zoom sur ... L'impact de la mode

Il est 19h, vous rentrez chez vous après une journée de travail. En scrollant sur votre téléphone, une publicité pour une grande marque de fast-fashion apparaît, avec des promotions très alléchantes en vue du Black Friday. L’occasion parfaite pour acheter ce pantalon que vous avez vu il y a quelques jours. Mais si le prix affiché dudit pantalon est très faible, attention à son coût caché. En effet, quand on se penche de plus près sur son impact écologique et social, l’addition devient vite très salée !

Avec 100 milliards de vêtements environ vendus dans le monde et 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 émis chaque année, la mode est l’une des industries les plus polluantes au monde. Elle est responsable de 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que les émissions additionnées des vols internationaux et du trafic maritime. Une part qui pourrait monter jusqu’à 26% d’ici 2050 si les tendances actuelles de consommation se poursuivent. Au sein de l’Union européenne, la consommation de textiles représente la 4 ème source d’impacts sur l’environnement et le changement climatique, après l’alimentation, le logement et les transports.

« Le dressing de ta vie », opération coup de poing sur la place de la mairie de Poitiers en octobre 2023, qui représente les 2500 vêtements et 200 paires de chaussures qu’un· Française achète en moyenne au cours de sa vie, de 15 à 75 ans | Agence Blue Com

Mais pourquoi les vêtements polluent-ils autant ? Pour y répondre, penchons-nous sur le cas du pantalon soldé à l’occasion du Black Friday, en analysant tout son cycle de vie, de la production des matières premières à sa fin de vie.

La production des matières premières

Si on regarde de plus près la composition de notre jean, on peut lire : “doublure de poche : polyester 64% et coton 36%”, et “couche extérieure : coton 100%”. En règle générale, la plupart des vêtements sont fabriqués à partir de 4 matières premières : le polyester, le coton, la viscose et le lyocell, et la laine. Et, spoiler alert, toutes ces matières ont un coût environnemental et social non-négligeable.

Le polyester

Avec près de 60,5 millions de tonnes produites en 2021, le polyester est de loin la matière première la plus utilisée par l’industrie textile. Dérivé direct du pétrole, une énergie fossile fortement émettrice de gaz à effet de serre, inutile de vous faire un dessin pour vous expliquer pourquoi le polyester pollue. Polyester, nylon, élasthanne, acrylique : au total, 70% des fibres synthétiques produites dans le monde sont en plastique (et donc proviennent du pétrole).

L’industrie textile est ainsi responsable de 14% de la pollution plastique mondiale. En 2019, elle a généré 8,3 millions de tonnes de déchets plastiques, imputables principalement à la production de vêtements synthétiques et à la mauvaise gestion de déchets.

Le coton

En deuxième position, avec 24,7 millions de tonnes produites en 2021, on retrouve le coton, la “star” des matières végétales. Au total, le coton représente ¼ des fibres textiles produites dans le monde. Problème ? Sa culture, gourmande en eau et en pesticides, est un véritable cocktail toxique pour l’environnement. Principale consommatrice de pesticides au monde, la culture de coton représente 4% de la consommation d’engrais chimiques mondiale, ce qui n’est pas sans impact sur la biodiversité. Le recours aux engrais chimiques participe également à la pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau, ce qui favorise la prolifération d’algues, aux dépens d’autres formes de vies aquatiques.

En plus de sa forte consommation de pesticides et d’engrais chimiques, la culture du coton est très gourmande en eau. Prenons par exemple notre jean : on estime que son empreinte eau s’élève à 7500 L d’eau, soit l’équivalent de l’eau bue par un être humain pendant 7 ans (ou bien encore l’équivalent de 285 douches). L’industrie textile est ainsi le troisième secteur qui consomme le plus d’eau dans le monde, après la culture de blé et de riz. La consommation en eau de l’industrie textile pourrait même augmenter de 50% d’ici 2030. Une situation qui serait particulièrement problématique pour des pays producteurs de coton comme l’Inde et la Chine, qui subissent déjà des pressions importantes sur leurs ressources en eau douce.

La mer d’Aral en 1989 à gauche, en 2000 au centre et en 2014 à droite. Dans les années 1960, les Soviétiques ont décidé de transformer les steppes désertiques du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan en champs de coton et de blé. Ils ont alors détourné une partie des fleuves pour irriguer leurs cultures et ont ainsi privé la mer d’Aral de 20 à 60 km3 d’eau, chaque année.
La viscose et le lyocell

Avec 6,1 millions de tonnes produites en 2021, la viscose et le lyocell se placent en 3ème position des matières premières les plus utilisées par l’industrie textile. Souvent présentées comme des alternatives durables au coton et au polyester, la viscose et le lyocell sont des fibres synthétiques produites à partir de ressources naturelles, telles que la cellulose de bambou, de maïs, d’eucalyptus, de hêtre et de soja.

Le problème ? Leur conception nécessite l’utilisation de produits chimiques toxiques, comme l’hydroxyde de sodium, l’acide sulfurique et le disulfure de carbone. Ce dernier, hautement volatile et inflammable, peut contaminer les populations aux alentours des usines et causer des maladies graves.

La laine

En bas du classement, avec 1 million de tonnes produites en 2021, on retrouve la laine. De manière générale, les matières premières animales comme la laine (de mouton, de chèvre, d’alpaga), la fourrure (de lapin ou de vison) et le cuir (de vache, de veau ou d’agneau) ont un coût  environnemental important, lié principalement à leur élevage (qui est le plus souvent intensif). À cela vient s’ajouter le bien-être animal : en Chine par exemple, d’où provient une grande partie du cuir mondial, aucune loi n’encadre le traitement des animaux.

Autre conséquence de l’élevage intensif : la prolifération des zoonoses. Une étude parue dans la revue scientifique Nature estime ainsi que l'élevage de fourrure est une "autoroute virale" qui pourrait être à l'origine de la prochaine pandémie, si des mesures de biosécurité plus strictes ne sont pas prises.

La fabrication

Une fois que le coton a été récolté et le polyester fabriqué, il est temps de concevoir notre pantalon. Cette étape, qui se déroule bien souvent dans des pays où les conditions de travail sont bien moins contraignantes et protectrices qu’en Europe, a, elle aussi, un coût environnemental et social considérable.

Les conditions de travail

Le jean sur lequel vous avez flashé coûte 30 euros, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui vous a fait craquer. Mais est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment les grandes marques de fast-fashion font pour vous proposer des prix aussi bas ?

“Dans l’industrie textile, plus vous produisez mal et à moindre coût, plus vous êtes compétitifs” Julia Faure, co-fondatrice de Loom, pour Libération

La réponse est simple : des salaires bas dans des pays peu regardants sur la sécurité et les droits des travailleurs, comme le Pakistan et le Bangladesh, qui ont vu leurs commandes exploser ces dernières années. Car, si la mode génère 300 millions d’emplois dans le monde, elle participe dans le même temps à entretenir un système de production polluants et des conditions de travail déplorables, qui exploite les femmes et les enfants.

Si les commandes ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années, la capacité de production des infrastructures, elle, n’a pas eu le temps de s’adapter. Les travailleurs sont donc surexploités et les accidents industriels sont fréquents : entre 2009 et 2013, 579 travailleurs sont morts dans des incendies d’usine au Bangladesh. Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui accueillait plusieurs milliers d'ouvriers travaillant l’industrie textile, a causé la mort d’au moins 1 127 personnes.

L’industrie du textile est aussi impliquée dans l’exploitation des enfants et le travail forcé (un joli mot pour décrire l’esclavage moderne). Au Bangladesh par exemple, l’industrie du cuir exploite des enfants et leur confie des tâches dangereuses, comme le port de charges lourdes, les teintures manuelles à base de produits chimiques toxiques, ou encore la manipulation d’objets tranchants. En parallèle, la culture du coton résulte, en partie, de l’esclavage. En cause : le coton chinois (premier exportateur mondial), produit à 90% dans la région du Xinjiang, où les ouïghours sont soumis au travail forcé.

La teinte des vêtements

La teinture des vêtements est sans doute l’un des processus les plus polluants dans le cycle de fabrication d’un vêtement. Ethoxylates de nonylphénol, colorants azoïques, phtalates, formaldéhyde, … L’industrie textile utilise de nombreux produits chimiques (et toxiques) pour teindre les vêtements.

Toxiques pour les ouvriers qui fabriquent nos vêtements, pour nous qui les portons, mais également pour les écosystèmes aquatiques (lors de la teinture et des différents passages en machine par la suite). On estime ainsi que 20% de la pollution des eaux dans le monde est imputable à la teinture et au traitement des textiles. La teinture d’une tonne de polyester génère, lors de sa fabrication seulement, 30 tonnes d’eaux usées toxiques.

L’effet “délavé”

En plus du prix, le jean vous a fait craquer car il a cet effet délavé “jean neuf déjà vieux” que vous aimez tant. Le hic ? L’effet délavé est obtenu grâce à la technique du sablage, qui met directement en danger les ouvriers qui la pratique.

Concrètement, les ouvriers projettent du sable à haute pression composé à 80% de silice sur les jeans. Si la silice n’est pas dangereuse en soi, elle peut néanmoins provoquer des maladies graves (comme la silicose, une maladie pulmonaire incurable) dans le cas d’une exposition prolongée.

Le recours aux énergies fossiles

83% de l’impact carbone d’un produit textile est imputable à sa fabrication, c’est-à-dire aux étapes de filature, tricotage/tissage, teinture, traitements spéciaux et assemblages.

Ces émissions sont en majorité dues à l’usage de l’électricité pour faire fonctionner les machines, et varient donc fortement en fonction du mix électrique des pays de production. Or, la plupart des pays producteurs ont un mix électrique dépendant des énergies fossiles, ce qui explique l’impact carbone important de l’industrie textile. En France, où 95% des vêtements sont importés, 1 kWh émet 0,08 kg CO2e : c’est 20 fois moins qu’en Inde, 13 fois moins qu’en Chine et 10 fois moins qu’au Bangladesh.

Le transport

On l’a vu, la grande partie de l’empreinte carbone d’un vêtement est imputable à sa fabrication. La part du transport dans cette empreinte carbone est donc presque anecdotique.

Néanmoins, les émissions liées au transport vont être amenées à augmenter dans les prochaines années, notamment en raison du recours de plus en plus fréquent aux avions pour transporter les marchandises. C’est le cas par exemple des géants de l’ultra fast-fashion, Shein et Temu, qui délaissent peu à peu le fret maritime au profit de l’aérien, qui est 14 fois plus polluant.

L’usage

Vous avez finalement acheté le jean, et après avoir dansé toute la nuit avec, vous vous apprêtez à le laver. Mais saviez-vous que la moitié de l’impact écologique d’un vêtement a lieu après son achat ?

Le lavage

12% de l’eau consommée chaque année dans les foyers français est due à la seule utilisation de la machine à laver. Cela représente plus de 14 000 L d’eau par an, soit l’équivalent de ce que boit un Français pendant 12 ans.

Le plus gros problème lié au lavage de nos vêtements, ce n’est pas la consommation d’eau, mais plutôt la pollution de cette dernière, principalement due aux fibres synthétiques. Lorsque vous lavez votre jean par exemple, composé en partie de polyester (donc de plastique), des microfibres plastiques sont libérées dans les canalisations et atterrissent dans les océans. 240 000 tonnes de microplastiques sont ainsi relâchées dans les océans chaque année en raison de l’entretien de nos vêtements, soit l’équivalent de plus de 24 milliards de bouteilles en plastique. C’est la principale source de pollution des océans, devant les sacs en plastique. Au total, on estime que 35% des microplastiques présents dans les océans sont issus des lavages de nos vêtements. Un pourcentage qui monte même jusqu’à 90% le long des côtes suédoises. Une pollution qui n’est d’ailleurs pas sans effets sur notre santé.

En plus de la pollution aux microplastiques, le lavage de nos vêtements serait également en partie responsable de la contamination de nos rivières au glyphosate. En cause ? Nos lessives, et plus précisément les aminophosphonates, une substance utilisée dans les détergents des lessives et produits de nettoyage, ainsi que dans certains traitements des eaux industrielles, et qui pourrait se dégrader en glyphosate, selon des chercheurs allemands.

La fin de vie

Le temps a passé et vous avez fini par vous lasser de votre jean. Vous décidez donc de :

(1) Le jeter. Les Européens se débarrassent en moyenne 11 kg de vêtements par an (soit 4 millions de tonnes de textiles au total chaque année). 80% de ces vêtements sont jetés directement dans la poubelle pour ordures ménagères et finissent enfouis ou incinérés. Pour les vêtements déposés dans les points de collectes prévus à cet effet, 60% sont collectés et triés en vue d’une réutilisation, et 40% en vue d’un recyclage. Attention toutefois au greenwashing de certaines enseignes de fast-fashion, qui, sous couvert de recycler les vêtements, les exportent à l’étranger pour les incinérer ou les enfouir.

(2) Lui donner une seconde vie. 10 (à 12%) des vêtements dont se débarrassent les Européens sont revendus en seconde main localement. Ces vêtements sont pour la plupart de bonne qualité, et, avec l’avènement de la fast-fashion et de l’ultra fast-fashion, et donc de “la mode jetable”, cette part est amenée à diminuer dans les prochaines années. Que faire alors de ces vêtements de piètre qualité ? Une grande partie est envoyée au Chili, au Kenya ou en Ouganda, et inonde les marchés locaux. Si la seconde main permet de faire vivre l’économie locale, elle est aussi responsable de nombreuses pollutions sur place. La seconde main, et notamment des plateformes comme Vinted, participent également à faire prospérer la fast-fashion.

(3) Le garder dans votre penderie, “au cas où”. Le saviez-vous ? En Europe, ⅓ de nos vêtements en moyenne ne sortent pas de nos placards. Ce qui ne nous empêche pas pour autant d’acheter en moyenne 9,5 kg de vêtements et de chaussures chaque année. Des chiffres qui donnent le tournis.

Alors on fait quoi ?

La production mondiale de vêtements a doublé en seulement quatorze ans, entre 2000 et 2014, quand la durée de vie des produits a, elle, diminué d’un tiers. On achète donc plus de vêtements, et on les garde moins longtemps. Chaque année en France, 42 produits textiles par personne sont mis en vente. Or, pour respecter l’Accord de Paris sur le climat, chaque habitant ne devrait consommer que cinq vêtements neufs par an. Un chiffre qui semble plus que raisonnable quand on sait l’impact de la surproduction de vêtements sur les limites planétaires. La solution ? Acheter moins, mais mieux !

Nous avons produit assez de vêtements pour habiller la planète jusqu’en 2100” Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France, pour Vert

Les 6 règles d’or pour s’habiller sans cramer la planète

(1) Choisir des matières durables et naturelles comme le lin, le coton bio ou le chanvre ou bien des matières recyclées

(2) Acheter des vêtements labellisés écolabel européen, ecocert textile, demeter, GOTS, BioRé, Oeko - Tex Standard 100, Fairtrade Max Havelaar ou Bluesign

(3) Acheter que lorsque l’on en a vraiment besoin grâce à la méthode BISOU et privilégier les pièces intemporelles pour ne pas s’en lasser

(4) Privilégier la seconde main, la location ou le troc de vêtements, une bonne manière pour réduire son empreinte écologique tout en faisant des économies !

(5) Entretenir ses vêtements pour qu’ils durent le plus longtemps possible ! Pour cela, on lave moins souvent (comme le conseille Chip Bergh, ancien DG de Levi’s), à 30°C idéalement, avec une lessive la plus naturelle possible et sans parfums ou huiles essentielles. Et on répare ses vêtements soi-même ou grâce à une aide extérieure en profitant du bonus réparation.

(6) Revendre plutôt que jeter, en ligne ou bien dans un dépôt-vente ou un vide-grenier. On peut également le donner à une association et, en dernier recours, le déposer dans un point de collecte.

Prenons l’exemple de notre jean. Pour limiter au maximum son impact écologique, on choisit un jean en coton bio, non délavé et non déchiré ! Pour s’assurer qu’il n’y a pas eu de recours au sablage, on opte pour un jean labellisé Écolabel Européen !

Pour aller plus loin

Un article de :
Marina Yakovlev
Marina Yakovlev
Fondatrice d'EcoYako & Co-fondatrice de "Pour plus de climat dans les médias"
Les impacts écologiques et sociaux de la mode par Ecoyako pour Regen School
Ecologie
12 minutes de lecture

Zoom sur ... L'impact de la mode

Publié le
28 novembre 2024
Les impacts écologiques et sociaux de la mode par Ecoyako pour Regen School
Auteur(s)
Marina Yakovlev
Marina Yakovlev
Fondatrice d'EcoYako & Co-fondatrice de "Pour plus de climat dans les médias"
Les impacts écologiques et sociaux de la mode par Ecoyako pour Regen School

Il est 19h, vous rentrez chez vous après une journée de travail. En scrollant sur votre téléphone, une publicité pour une grande marque de fast-fashion apparaît, avec des promotions très alléchantes en vue du Black Friday. L’occasion parfaite pour acheter ce pantalon que vous avez vu il y a quelques jours. Mais si le prix affiché dudit pantalon est très faible, attention à son coût caché. En effet, quand on se penche de plus près sur son impact écologique et social, l’addition devient vite très salée !

Avec 100 milliards de vêtements environ vendus dans le monde et 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 émis chaque année, la mode est l’une des industries les plus polluantes au monde. Elle est responsable de 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit plus que les émissions additionnées des vols internationaux et du trafic maritime. Une part qui pourrait monter jusqu’à 26% d’ici 2050 si les tendances actuelles de consommation se poursuivent. Au sein de l’Union européenne, la consommation de textiles représente la 4 ème source d’impacts sur l’environnement et le changement climatique, après l’alimentation, le logement et les transports.

« Le dressing de ta vie », opération coup de poing sur la place de la mairie de Poitiers en octobre 2023, qui représente les 2500 vêtements et 200 paires de chaussures qu’un· Française achète en moyenne au cours de sa vie, de 15 à 75 ans | Agence Blue Com

Mais pourquoi les vêtements polluent-ils autant ? Pour y répondre, penchons-nous sur le cas du pantalon soldé à l’occasion du Black Friday, en analysant tout son cycle de vie, de la production des matières premières à sa fin de vie.

La production des matières premières

Si on regarde de plus près la composition de notre jean, on peut lire : “doublure de poche : polyester 64% et coton 36%”, et “couche extérieure : coton 100%”. En règle générale, la plupart des vêtements sont fabriqués à partir de 4 matières premières : le polyester, le coton, la viscose et le lyocell, et la laine. Et, spoiler alert, toutes ces matières ont un coût environnemental et social non-négligeable.

Le polyester

Avec près de 60,5 millions de tonnes produites en 2021, le polyester est de loin la matière première la plus utilisée par l’industrie textile. Dérivé direct du pétrole, une énergie fossile fortement émettrice de gaz à effet de serre, inutile de vous faire un dessin pour vous expliquer pourquoi le polyester pollue. Polyester, nylon, élasthanne, acrylique : au total, 70% des fibres synthétiques produites dans le monde sont en plastique (et donc proviennent du pétrole).

L’industrie textile est ainsi responsable de 14% de la pollution plastique mondiale. En 2019, elle a généré 8,3 millions de tonnes de déchets plastiques, imputables principalement à la production de vêtements synthétiques et à la mauvaise gestion de déchets.

Le coton

En deuxième position, avec 24,7 millions de tonnes produites en 2021, on retrouve le coton, la “star” des matières végétales. Au total, le coton représente ¼ des fibres textiles produites dans le monde. Problème ? Sa culture, gourmande en eau et en pesticides, est un véritable cocktail toxique pour l’environnement. Principale consommatrice de pesticides au monde, la culture de coton représente 4% de la consommation d’engrais chimiques mondiale, ce qui n’est pas sans impact sur la biodiversité. Le recours aux engrais chimiques participe également à la pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau, ce qui favorise la prolifération d’algues, aux dépens d’autres formes de vies aquatiques.

En plus de sa forte consommation de pesticides et d’engrais chimiques, la culture du coton est très gourmande en eau. Prenons par exemple notre jean : on estime que son empreinte eau s’élève à 7500 L d’eau, soit l’équivalent de l’eau bue par un être humain pendant 7 ans (ou bien encore l’équivalent de 285 douches). L’industrie textile est ainsi le troisième secteur qui consomme le plus d’eau dans le monde, après la culture de blé et de riz. La consommation en eau de l’industrie textile pourrait même augmenter de 50% d’ici 2030. Une situation qui serait particulièrement problématique pour des pays producteurs de coton comme l’Inde et la Chine, qui subissent déjà des pressions importantes sur leurs ressources en eau douce.

La mer d’Aral en 1989 à gauche, en 2000 au centre et en 2014 à droite. Dans les années 1960, les Soviétiques ont décidé de transformer les steppes désertiques du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan en champs de coton et de blé. Ils ont alors détourné une partie des fleuves pour irriguer leurs cultures et ont ainsi privé la mer d’Aral de 20 à 60 km3 d’eau, chaque année.
La viscose et le lyocell

Avec 6,1 millions de tonnes produites en 2021, la viscose et le lyocell se placent en 3ème position des matières premières les plus utilisées par l’industrie textile. Souvent présentées comme des alternatives durables au coton et au polyester, la viscose et le lyocell sont des fibres synthétiques produites à partir de ressources naturelles, telles que la cellulose de bambou, de maïs, d’eucalyptus, de hêtre et de soja.

Le problème ? Leur conception nécessite l’utilisation de produits chimiques toxiques, comme l’hydroxyde de sodium, l’acide sulfurique et le disulfure de carbone. Ce dernier, hautement volatile et inflammable, peut contaminer les populations aux alentours des usines et causer des maladies graves.

La laine

En bas du classement, avec 1 million de tonnes produites en 2021, on retrouve la laine. De manière générale, les matières premières animales comme la laine (de mouton, de chèvre, d’alpaga), la fourrure (de lapin ou de vison) et le cuir (de vache, de veau ou d’agneau) ont un coût  environnemental important, lié principalement à leur élevage (qui est le plus souvent intensif). À cela vient s’ajouter le bien-être animal : en Chine par exemple, d’où provient une grande partie du cuir mondial, aucune loi n’encadre le traitement des animaux.

Autre conséquence de l’élevage intensif : la prolifération des zoonoses. Une étude parue dans la revue scientifique Nature estime ainsi que l'élevage de fourrure est une "autoroute virale" qui pourrait être à l'origine de la prochaine pandémie, si des mesures de biosécurité plus strictes ne sont pas prises.

La fabrication

Une fois que le coton a été récolté et le polyester fabriqué, il est temps de concevoir notre pantalon. Cette étape, qui se déroule bien souvent dans des pays où les conditions de travail sont bien moins contraignantes et protectrices qu’en Europe, a, elle aussi, un coût environnemental et social considérable.

Les conditions de travail

Le jean sur lequel vous avez flashé coûte 30 euros, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui vous a fait craquer. Mais est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment les grandes marques de fast-fashion font pour vous proposer des prix aussi bas ?

“Dans l’industrie textile, plus vous produisez mal et à moindre coût, plus vous êtes compétitifs” Julia Faure, co-fondatrice de Loom, pour Libération

La réponse est simple : des salaires bas dans des pays peu regardants sur la sécurité et les droits des travailleurs, comme le Pakistan et le Bangladesh, qui ont vu leurs commandes exploser ces dernières années. Car, si la mode génère 300 millions d’emplois dans le monde, elle participe dans le même temps à entretenir un système de production polluants et des conditions de travail déplorables, qui exploite les femmes et les enfants.

Si les commandes ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années, la capacité de production des infrastructures, elle, n’a pas eu le temps de s’adapter. Les travailleurs sont donc surexploités et les accidents industriels sont fréquents : entre 2009 et 2013, 579 travailleurs sont morts dans des incendies d’usine au Bangladesh. Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui accueillait plusieurs milliers d'ouvriers travaillant l’industrie textile, a causé la mort d’au moins 1 127 personnes.

L’industrie du textile est aussi impliquée dans l’exploitation des enfants et le travail forcé (un joli mot pour décrire l’esclavage moderne). Au Bangladesh par exemple, l’industrie du cuir exploite des enfants et leur confie des tâches dangereuses, comme le port de charges lourdes, les teintures manuelles à base de produits chimiques toxiques, ou encore la manipulation d’objets tranchants. En parallèle, la culture du coton résulte, en partie, de l’esclavage. En cause : le coton chinois (premier exportateur mondial), produit à 90% dans la région du Xinjiang, où les ouïghours sont soumis au travail forcé.

La teinte des vêtements

La teinture des vêtements est sans doute l’un des processus les plus polluants dans le cycle de fabrication d’un vêtement. Ethoxylates de nonylphénol, colorants azoïques, phtalates, formaldéhyde, … L’industrie textile utilise de nombreux produits chimiques (et toxiques) pour teindre les vêtements.

Toxiques pour les ouvriers qui fabriquent nos vêtements, pour nous qui les portons, mais également pour les écosystèmes aquatiques (lors de la teinture et des différents passages en machine par la suite). On estime ainsi que 20% de la pollution des eaux dans le monde est imputable à la teinture et au traitement des textiles. La teinture d’une tonne de polyester génère, lors de sa fabrication seulement, 30 tonnes d’eaux usées toxiques.

L’effet “délavé”

En plus du prix, le jean vous a fait craquer car il a cet effet délavé “jean neuf déjà vieux” que vous aimez tant. Le hic ? L’effet délavé est obtenu grâce à la technique du sablage, qui met directement en danger les ouvriers qui la pratique.

Concrètement, les ouvriers projettent du sable à haute pression composé à 80% de silice sur les jeans. Si la silice n’est pas dangereuse en soi, elle peut néanmoins provoquer des maladies graves (comme la silicose, une maladie pulmonaire incurable) dans le cas d’une exposition prolongée.

Le recours aux énergies fossiles

83% de l’impact carbone d’un produit textile est imputable à sa fabrication, c’est-à-dire aux étapes de filature, tricotage/tissage, teinture, traitements spéciaux et assemblages.

Ces émissions sont en majorité dues à l’usage de l’électricité pour faire fonctionner les machines, et varient donc fortement en fonction du mix électrique des pays de production. Or, la plupart des pays producteurs ont un mix électrique dépendant des énergies fossiles, ce qui explique l’impact carbone important de l’industrie textile. En France, où 95% des vêtements sont importés, 1 kWh émet 0,08 kg CO2e : c’est 20 fois moins qu’en Inde, 13 fois moins qu’en Chine et 10 fois moins qu’au Bangladesh.

Le transport

On l’a vu, la grande partie de l’empreinte carbone d’un vêtement est imputable à sa fabrication. La part du transport dans cette empreinte carbone est donc presque anecdotique.

Néanmoins, les émissions liées au transport vont être amenées à augmenter dans les prochaines années, notamment en raison du recours de plus en plus fréquent aux avions pour transporter les marchandises. C’est le cas par exemple des géants de l’ultra fast-fashion, Shein et Temu, qui délaissent peu à peu le fret maritime au profit de l’aérien, qui est 14 fois plus polluant.

L’usage

Vous avez finalement acheté le jean, et après avoir dansé toute la nuit avec, vous vous apprêtez à le laver. Mais saviez-vous que la moitié de l’impact écologique d’un vêtement a lieu après son achat ?

Le lavage

12% de l’eau consommée chaque année dans les foyers français est due à la seule utilisation de la machine à laver. Cela représente plus de 14 000 L d’eau par an, soit l’équivalent de ce que boit un Français pendant 12 ans.

Le plus gros problème lié au lavage de nos vêtements, ce n’est pas la consommation d’eau, mais plutôt la pollution de cette dernière, principalement due aux fibres synthétiques. Lorsque vous lavez votre jean par exemple, composé en partie de polyester (donc de plastique), des microfibres plastiques sont libérées dans les canalisations et atterrissent dans les océans. 240 000 tonnes de microplastiques sont ainsi relâchées dans les océans chaque année en raison de l’entretien de nos vêtements, soit l’équivalent de plus de 24 milliards de bouteilles en plastique. C’est la principale source de pollution des océans, devant les sacs en plastique. Au total, on estime que 35% des microplastiques présents dans les océans sont issus des lavages de nos vêtements. Un pourcentage qui monte même jusqu’à 90% le long des côtes suédoises. Une pollution qui n’est d’ailleurs pas sans effets sur notre santé.

En plus de la pollution aux microplastiques, le lavage de nos vêtements serait également en partie responsable de la contamination de nos rivières au glyphosate. En cause ? Nos lessives, et plus précisément les aminophosphonates, une substance utilisée dans les détergents des lessives et produits de nettoyage, ainsi que dans certains traitements des eaux industrielles, et qui pourrait se dégrader en glyphosate, selon des chercheurs allemands.

La fin de vie

Le temps a passé et vous avez fini par vous lasser de votre jean. Vous décidez donc de :

(1) Le jeter. Les Européens se débarrassent en moyenne 11 kg de vêtements par an (soit 4 millions de tonnes de textiles au total chaque année). 80% de ces vêtements sont jetés directement dans la poubelle pour ordures ménagères et finissent enfouis ou incinérés. Pour les vêtements déposés dans les points de collectes prévus à cet effet, 60% sont collectés et triés en vue d’une réutilisation, et 40% en vue d’un recyclage. Attention toutefois au greenwashing de certaines enseignes de fast-fashion, qui, sous couvert de recycler les vêtements, les exportent à l’étranger pour les incinérer ou les enfouir.

(2) Lui donner une seconde vie. 10 (à 12%) des vêtements dont se débarrassent les Européens sont revendus en seconde main localement. Ces vêtements sont pour la plupart de bonne qualité, et, avec l’avènement de la fast-fashion et de l’ultra fast-fashion, et donc de “la mode jetable”, cette part est amenée à diminuer dans les prochaines années. Que faire alors de ces vêtements de piètre qualité ? Une grande partie est envoyée au Chili, au Kenya ou en Ouganda, et inonde les marchés locaux. Si la seconde main permet de faire vivre l’économie locale, elle est aussi responsable de nombreuses pollutions sur place. La seconde main, et notamment des plateformes comme Vinted, participent également à faire prospérer la fast-fashion.

(3) Le garder dans votre penderie, “au cas où”. Le saviez-vous ? En Europe, ⅓ de nos vêtements en moyenne ne sortent pas de nos placards. Ce qui ne nous empêche pas pour autant d’acheter en moyenne 9,5 kg de vêtements et de chaussures chaque année. Des chiffres qui donnent le tournis.

Alors on fait quoi ?

La production mondiale de vêtements a doublé en seulement quatorze ans, entre 2000 et 2014, quand la durée de vie des produits a, elle, diminué d’un tiers. On achète donc plus de vêtements, et on les garde moins longtemps. Chaque année en France, 42 produits textiles par personne sont mis en vente. Or, pour respecter l’Accord de Paris sur le climat, chaque habitant ne devrait consommer que cinq vêtements neufs par an. Un chiffre qui semble plus que raisonnable quand on sait l’impact de la surproduction de vêtements sur les limites planétaires. La solution ? Acheter moins, mais mieux !

Nous avons produit assez de vêtements pour habiller la planète jusqu’en 2100” Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France, pour Vert

Les 6 règles d’or pour s’habiller sans cramer la planète

(1) Choisir des matières durables et naturelles comme le lin, le coton bio ou le chanvre ou bien des matières recyclées

(2) Acheter des vêtements labellisés écolabel européen, ecocert textile, demeter, GOTS, BioRé, Oeko - Tex Standard 100, Fairtrade Max Havelaar ou Bluesign

(3) Acheter que lorsque l’on en a vraiment besoin grâce à la méthode BISOU et privilégier les pièces intemporelles pour ne pas s’en lasser

(4) Privilégier la seconde main, la location ou le troc de vêtements, une bonne manière pour réduire son empreinte écologique tout en faisant des économies !

(5) Entretenir ses vêtements pour qu’ils durent le plus longtemps possible ! Pour cela, on lave moins souvent (comme le conseille Chip Bergh, ancien DG de Levi’s), à 30°C idéalement, avec une lessive la plus naturelle possible et sans parfums ou huiles essentielles. Et on répare ses vêtements soi-même ou grâce à une aide extérieure en profitant du bonus réparation.

(6) Revendre plutôt que jeter, en ligne ou bien dans un dépôt-vente ou un vide-grenier. On peut également le donner à une association et, en dernier recours, le déposer dans un point de collecte.

Prenons l’exemple de notre jean. Pour limiter au maximum son impact écologique, on choisit un jean en coton bio, non délavé et non déchiré ! Pour s’assurer qu’il n’y a pas eu de recours au sablage, on opte pour un jean labellisé Écolabel Européen !

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