Zoom sur ... La pêche
L’océan recouvre 70% de la surface de la terre, abrite plus de 2,2 millions d’espèces et nourrit plus de 3 milliards de personnes. Véritable poumon de la planète, il produit 50% de l'oxygène que nous respirons. C’est aussi un régulateur du climat : il absorbe 90% de la chaleur produite et capte environ ⅓ du CO2 émis dans l'atmosphère, ce qui en fait le plus grand puits de carbone sur terre. En résumé, l’océan est essentiel à notre survie. Mais l’océan est en danger, et la biodiversité marine est en déclin. L’une des principales causes ? La surpêche, un fléau qui concerne l’ensemble du globe, et dont la France n’est pas exempte. Avec une moyenne de 33,7 kilogrammes de poissons consommés par habitant et par an, notre pays se classe en effet en 4ème position des plus gros consommateurs de l’UE de produits issus de la pêche et de l’aquaculture.
La pêche industrielle menace la biodiversité marine
La pêche industrielle, principale responsable de la surpêche
En France, 20% des poissons débarqués sont issus de populations de poissons surexploitées et 2% de populations effondrées. Si la pêche industrielle n’est pas la seule responsable de la surexploitation des ressources marines, elle n’en reste pas moins la principale cause. Dans un rapport publié en janvier 2024, l’ONG Bloom révélait ainsi que, toutes flottilles confondues, près d’un tiers des débarquements de pêche sont issus de ressources surexploitées. Et les chalutiers sont responsables, à eux seuls, de 84% de ces débarquements participant à la surpêche. Ils sont également responsables de plus de 50% de l’ensemble des captures de juvéniles des flottilles de pêche françaises.
Cabillaud, sole, merlu, crevettes, thon, … Il y a de fortes chances que les produits que vous consommez soient issus de la pêche industrielle, ce qui n’est pas sans conséquence sur leurs populations. En raison de son rythme effréné, la pêche industrielle ne laisse pas le temps aux populations de poissons de se reconstituer, ce qui entraîne leur déclin et des conséquences en cascades pour le reste de la chaîne alimentaire. Prenons le cas des oiseaux marins : leurs fientes, pleines de phosphore et d’azote, permettent de nourrir le plancton, à la base de la chaîne alimentaire marine. Or qui dit baisse des populations de poissons, dit baisse des oiseaux marins, et donc baisse du plancton (et donc baisse des populations de poissons). C’est un cercle vicieux : moins il y a de poissons, moins il y a de poissons.
Le Cabillaud, classé vulnérable sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), a quasiment disparu dans les eaux du nord de la Bretagne et a atteint un point de non-retour à l’ouest de l’Atlantique. La population de hareng de l’Atlantique nord-est et de l’océan Arctique a, elle, été divisée par deux en une quinzaine d’années et se situe désormais sous le seuil critique de durabilité (le point à partir duquel la santé à long terme de la population est menacée). La population de maquereau a quant à elle perdu plus de 60% de sa biomasse en neuf ans et se rapproche du seuil critique au-dessous duquel une population est considérée comme effondrée. La cause principale de ces déclins ? La surpêche, bien sûr.
L’autre conséquence désastreuse de la pêche industrielle, ce sont les prises accidentelles, aussi appelée “bycatch”, et la pollution plastique liée aux filets de pêche. Rien que dans le Golfe de Gascogne, on estime qu’entre 3000 et 11000 dauphins sont capturés accidentellement chaque année dans les filets de pêche, sur 680 000 individus, soit 0,6 à 2% de la population de dauphin. Un pourcentage qui peut sembler faible, mais qui est en réalité suffisant pour menacer la pérennité de l’espèce, qui est protégée.
Le chalutage de fond, une catastrophe écologique
Armes de destruction marine, bulldozers des mers, … Les surnoms des chalutiers de fonds, qui représentent ¼ de la flotte et 30% des poissons pêchés en Europe, annoncent la couleur. En plus d’être responsables en grande partie de la surpêche, les chalutiers qui pratiquent le chalutage de fond participent également à la destruction des écosystèmes : ils sont responsables de 90% de la surface abrasée dans l’océan. Concrètement, les chalutiers de fond, en raclant les fonds marins, déciment les habitats océaniques et emportent tout sur leur passage. C’est l’équivalent de la déforestation, mais sous l’océan. Malgré les dangers écologiques du chalutage de fond, les défenseurs de l’environnement peinent aujourd’hui à interdire, ou du moins à mieux réguler, cette pratique de pêche, qui est notamment autorisée dans les aires marines protégées (oui oui, vous avez bien lu …).
Cerise sur le gâteau : le chalutage de fond est très émetteur de CO2. En plus du carburant nécessaire à leur fonctionnement, les chalutiers, en raclant les fonds marins, libèrent d’énormes quantités de CO2 jusque-là emprisonnées dans les sédiments marins. Les chalutiers de fond sont ainsi à l’origine de 400 kT eqCO2, soit 57% des émissions totales des flottilles françaises, pour seulement 34% de la production. À l’échelle mondiale, le chalutage de fond émet chaque année 340 millions de tonnes de CO2, soit presque autant que les émissions annuelles de la France.
La pêche industrielle, un modèle rentable ?
Au vu des dégâts écologiques causés par la pêche industrielle, on peut donc légitimement se demander pourquoi ce modèle perdure. Est-ce en raison de sa rentabilité et des emplois qu’il crée ? Pas vraiment. Comme le révèle le rapport de l’association Bloom, pour un même niveau de capture réalisé dans un milieu sauvage (l’océan), les chalutiers de fond industriels et hauturiers créent 2 à 3 fois moins d’emplois, presque 2 fois moins de valeur ajoutée que les flottes utilisant les arts dormants (les lignes, casiers et filets) et sont 3 à 4 fois moins rentables. En plus d’être peu performante économiquement, la pêche industrielle est fortement dépendante des subventions publiques : 1 kg de ressources pêchées est subventionné entre 50 et 75 centimes d’euros pour les flottilles utilisant des chaluts et sennes de fond, quand les autres flottilles sont subventionnées à moins de 30 centimes d’euros par kilogramme débarqué. À se demander pourquoi le modèle n’est pas remis en question une bonne fois pour toutes.
Quelles solutions pour lutter contre la surpêche ?
La pisciculture, la fausse bonne idée
On l’a vu, la pêche industrielle représente une véritable menace pour la biodiversité marine. On pourrait alors être tenté de se tourner vers l’élevage de poissons pour préserver l’océan. Problème ? La pisciculture participe, elle aussi, à la surpêche.
Prenons l’exemple du saumon d’élevage, qui représente 99,9% du saumon consommé dans le monde. Sa production a triplé en vingt ans et pourrait encore s’accroître de 91% dans les prochaines années en raison de l’apparition de l’élevage à terre qui se développe aussi bien en France qu’en Arabie Saoudite. Or, l’association Seastemik estime que pour nourrir un seul saumon d’élevage, il faut pêcher jusqu’à 440 poissons sauvages. Ainsi, en 2020, environ 4% de tous les poissons capturés dans le monde ont été utilisés pour nourrir le saumon atlantique d’élevage. Des poissons qui sont, pour la plupart, pêchés au large de l’Afrique de l’Ouest, privant les populations locales de cette manne précieuse.
« L’industrie du saumon n’est pas un système de production alimentaire, c’est un système de réduction de la nourriture. Elle profite aux quelques personnes qui peuvent se le permettre, mais réduit l’accès au poisson nutritif pour ceux qui en ont le plus besoin », Kathryn Matthews, l’une des autrices de l’étude “A review of the global use of fishmeal and fish oil and the Fish In:Fish Out metric”
Et l’impact écologique de l’élevage de saumons, véritable “pink bombs”, ne se limite pas à la surexploitation des ressources :
- Le saumon, deuxième plus gros consommateur de soja après le poulet, participe fortement à la déforestation
- Entre 2018 et 2022, 4 millions de saumons se sont échappés des élevages des 11 plus grands producteurs. Compétition avec les populations sauvages, introduction de maladies et de parasites, risque d’hybridation avec des saumons sauvages et donc menace de leur résilience génétique, … Les saumons échappés des élevages posent de nombreux problèmes écologiques.
- L'industrie du saumon a émis en 2021 environ 16 millions de tonnes de CO2 équivalent, soit près de l'ensemble des émissions de CO2 d'un pays comme la Croatie. Cela représente également l'équivalent des émissions maximales que pourront émettre 8 millions de personnes à l’horizon 2050 afin de limiter l’augmentation des températures mondiales à 2°C.
La nécessité de mettre en place une pêche réellement durable
Heureusement, certains acteurs de la pêche ont conscience de la nécessité d’agir pour régénérer les populations de poissons. C’est le cas notamment de l’association des Ligneurs de la pointe de Bretagne qui ont décidé de protéger les fonds marins et de respecter les périodes de reproduction, en pêchant le bar à la ligne. Si des initiatives durables émergent, il est tout de même nécessaire de mieux encadrer les techniques de pêche et de réguler, voire supprimer, la pêche industrielle.
En septembre, un groupe d’experts a ainsi proposé 11 règles d’or pour redéfinir le concept de “pêche durable”, mettre un terme à la destruction de l’océan et lutter contre la surpêche :
- Pêcher moins et minimiser l’impact de la pêche
- Interdire les méthodes de pêche destructrices
- Limiter la taille des bateaux de pêche
- S’approvisionner auprès de pêcheries bien gérées
- Protéger activement les écosystèmes
- Protéger pleinement les espèces et les habitats vulnérables
- Protéger les droits et les moyens de subsistance des humains
- Assurer une gestion équitable et transparente de la pêche
- Harmoniser les bonnes pratiques des entreprises
- Mettre fin aux subventions néfastes
- Strictement bannir la pêche illégale
L’association Bloom a elle aussi présenté une série de mesures pour lutter contre la surexploitation des ressources, et plus généralement pour protéger l’océan et la biodiversité marine. Parmi les mesures défendues par l’ONG : interdire la pêche au chalut dans les aires marines protégées, engager la transition du secteur en “déchalutisant” les flottes européennes, et interdire l’élevage d’espèces carnivores ou invasives au profit des poissons herbivores et de la culture d’algues.
Pour lutter contre les captures accidentelles, il est également recommandé d’interdire la pêche durant certaines périodes, comme c’est le cas dans le Golfe de Gascogne, et de diffuser les sons émis par les tortues ou les dauphins pour éviter les captures et les collisions.
Agir à son échelle pour préserver la biodiversité marine
Une action évidente pour lutter contre la surpêche et réduire son impact sur la biodiversité marine, c’est de réduire drastiquement sa consommation de poisson, voire d'arrêter tout simplement d’en manger.
Consommation d’antibiotiques, présence de mercure, pollution aux microplastiques, … Si certaines vont jusqu’à s’injecter du sperme de saumon pour lutter contre le vieillissement de la peau, le poisson n’est en réalité pas aussi bon pour la santé qu’on ne le croit. “Mais le poisson c’est plein d’oméga 3 non ?” Oui c’est vrai, mais l’oméga 3 est présent dans le poisson que parce qu’il consomme directement ou indirectement des algues. Manger des poissons herbivores, ou bien directement des algues, constitue donc un plus grand apport en oméga 3 qu’un poisson carnivore !
Pour adopter une consommation plus durable, vous pouvez également manger des poissons de saison, non sur-exploités, et issus de la pêche durable, grâce au consoguide du WWF ou à l’application Ethic Ocean. Et comme la France est le troisième plus gros consommateur de saumon par habitant dans le monde, on vous invite aussi à le bannir de votre alimentation, et donc de dire bye bye aux sushis devant Koh-Lanta le mardi soir. Heureusement, de plus en plus d’alternatives végétales voient le jour, comme ce restaurant de sushis végés (et celui-ci) à Paris.
Au-delà de votre alimentation, vous pouvez aussi agir au côté de Seastemik pour lutter contre l’élevage de saumons, ou encore rejoindre la coalition citoyenne pour la protection de l’océan et lutter de manière plus globale contre toutes les menaces qui pèsent sur la biodiversité marine (la surpêche, mais aussi l’acidification de l’océan, l’exploitation minière des fonds marins, la pollution plastique, les canicules marines, …).
Pour aller plus loin
Pour creuser encore plus le sujet, je vous conseille :
- La BD Pillages
- Le documentaire Seaspiracy
- L’essai Comment l’humanité se viande